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mercredi 10 juin 2015

Chapitre 8 : LES BÉNÉFICES DE LA SOCIÉTÉ DU SAVOIR INÉGALEMENT RÉPARTIS - Les sacrifiés


8.

Les bénéfices de la société du savoir inégalement répartis

 

Les sacrifiés / Vers une société post-industrielle / La robotisation / La nomadisation / Le pair à pair  

Les sacrifiés
Le coût du travail diminue depuis vingt cinq ans sans qu’il y ait eu à ce jour de conséquence sur les revenus des salariés. Cette baisse provient de la réduction invisible des charges sociales, en particulier sur les bas salaires. Tous les gouvernements ont utilisé cet expédient en le finançant par de l’endettement public. Nos gouvernants ont préféré socialiser la baisse du coût du travail plutôt que d’augmenter l’inégalité entre les classes sociales comme certains de nos voisins (l'Allemagne en particulier). Afin de maintenir les revenus le gouvernement socialiste a imaginé le crédit d’impôt pour la compétitivité (le CICE – 6% de la masse salariale en dessous des 2,5 du SMIC). Encore un allègement de charges qui est financé cette fois-ci par l’impôt sur la consommation (augmentation de la TVA de 19,6% à 20%). On reprend au consommateur ce que l’on n’a pas pris au salarié ! Et, malgré tout nous n’arrivons toujours pas à être compétitifs. Les raisons sont donc ailleurs que dans le coût du travail, à moins de « changer de braquet » et de supprimer le SMIC par exemple. Si les méthodes sont différentes, les résultats sont les mêmes, les coûts des bas salaires diminuent avec un maintien de la protection sociale ; mais à quel prix et pour combien de temps ? On perçoit parfaitement la tendance et dans quel groupe social nous allons rechercher les sacrifiés.
Cette société du savoir à l’intérieur d’une économie capitaliste ne concerne pas les populations les plus populaires, elle ne peut leur donner qu’un emploi non qualifié et par conséquent mal rémunéré. La tendance d’une baisse des bas salaires va s’accentuer si le profit et l’inégalité des richesses restent ce qu’ils ont été ces dernières années. Il faut éviter cette catastrophe humaine et faire en sorte que cette société libératrice le soit réellement pour tous et non simplement pour une minorité. Les différences sociales et culturelles sont suffisamment importantes pour faire porter tout le poids de cette mutation sur les populations les plus fragiles. L’Etat ne peut pas laisser le marché faire sa loi, et pourtant le gouvernement de Manuel Valls libère l’emploi dans les PME et les TPE.
La critique de la société industrielle exposée par le théoricien Ivan Illich dans le livre « La convivialité » a trouvé un écho dans le monde du numérique, et pourtant ce philosophe autrichien n’a que peu connu Internet. L’outil informatique a jusqu’à présent renforcé la complexité des organisations et par conséquent la domination des experts sur la masse. Illich ne dénonce pas la domination de l’Homme par l’Homme mais la servitude que le monde industriel inflige aux travailleurs sacrifiés par toujours plus de cloisonnement et d’efficacité productive. Il dénonce une société qui est dominée par des impératifs de croissance et défend l’idée d’une société conviviale remettant les Hommes au cœur du projet sociétal. Pour le moment notre société du savoir a conservé les mêmes attributs que la société industrielle, et pourtant elle a toutes les capacités à devenir conviviale, comme l’entend Illich, c’est-à-dire à ne pas dégrader l’autonomie personnelle, à ne pas susciter esclaves et maîtres et à élargir le rayon d’action personnel. Son concept de monopole radical est parfaitement transposable dans notre société capitaliste actuelle. Le numérique est un moyen technique si efficace qu’il crée les conditions d’un monopole et interdit tout autre moyen. Il est quasiment impossible aujourd’hui de vivre sans Internet, outil tout autant libératoire que liberticide, et cela sera encore plus vrai dans quelques années. En phase de mutation, comme celle que nous connaissons actuellement, l’outil industriel dans le passé et l’outil informatique aujourd’hui sont censés répondre à des besoins tout en créant des nouveaux maux plus graves que les précédents et qui entraînent l’augmentation du nombre des sacrifiés. Le refus de la fracture numérique est indispensable pour éviter le piège d’une société brutale, autoritaire et bien peu humaine. Ivan Illich condamne cette société capitaliste autodestructrice où l’Homme est victime de sa capacité créatrice. Et si la machine va continuer à remplacer l’employé, il est tout à fait possible de développer des outils conviviaux et de sortir par le haut de cette crise sociétale.
En parlant des actifs qui sont laissés sur le bord du chemin, Jeremy Rifkin écrit « Chaque nouvelle ignominie mine un peu plus leur confiance et leur amour-propre. Ils ont commencé par être sacrifiables, les voilà devenus obsolètes puis, finalement, invisibles dans le nouveau monde du commerce et des échanges planétaires. » (« La fin du travail » p.268) Au début, ce sont les moins bien formés, les personnes sans qualification, les immigrés qui ont payé le prix fort de la révolution technologique. Or, aujourd’hui, ce sont les classes moyennes, les cadres expérimentés qui rejoignent les premiers au bord du chemin. Il se sentent dévalorisés, sans projet d’avenir avec la crainte de voir leur famille se disloquer devant cette situation qu’ils n’ont pas vu venir. Alors prudence à tous ceux qui se croient protégés, bien formés, qualifiés pour défier la vague déferlante, nous y passerons presque tous, aujourd’hui, demain ou dans dix ans.
La classe sociale du Savoir continue à profiter du système et reste l’argument numéro 1 pour faire comprendre que tout le monde peut en bénéficier, qu’il n’y a pas d’autre solution et que demain « on rasera gratis ». Quelle douce illusion que de penser qu’une minorité sociale imposera encore longtemps son diktat économique. Moins ils seront, plus grande sera leur difficulté à nous faire croire que notre place est à leur côté. Ce groupe hétéroclite et cosmopolite, formé d’informaticiens, de chercheurs, de juristes, d’ingénieurs, de créateurs, de consultants de toute sorte devra comprendre que leur rôle est d’être l’aiguillon nécessaire pour transformer la société. Il est la « matière première » indispensable sans laquelle rien ne pourra se faire, hormis le règne de la terreur, de la guerre civile et du chaos.
Notre économie industrielle doit se réinventer à l’ère du numérique, et cette mutation ne paraît pas se mettre en place en associant tous les citoyens. Notre organisation sociétale est dépassée, et les principaux acteurs politiques et économiques n’ont pas suffisamment d’imagination pour comprendre la réalité d’un monde  de plus en plus sans travail. L’audace politique a disparu et personne ne sait aboutir à une proposition positive et constructive. Le pouvoir central est affaibli et une économie contributive vient progressivement rivaliser l’économie capitaliste. Changement radical de la nature du travail, les fermes, les industries et les bureaux ont besoin de moins en moins de personnel avec des machines plus performantes et moins coûteuses. Les êtres humains seront cantonnés aux emplois très spécifiques ou aux emplois sans qualification. Entre les deux, il y aura les machines. C’est la main d’œuvre du futur. « Dans le siècle qui vient, la contribution humaine va progressivement quitter le monde marchand pour investir la société civile. » Jeremy Rifkin (« La fin du travail » p.LV) Le capitalisme est malade de vieillesse, d’usure, il ne contrôle plus ses ouailles, il sépare les individus et les éloigne de la vie décente. Il ne représente plus une société qui se tient debout, qui regarde fièrement l’avenir et invente l’avenir afin de le rendre plus humain.
Les tensions entre les riches et les pauvres, ou ceux qui se sentent délaissés par la révolution technologique vont s’accroître jusqu’à l’explosion ou la domination des uns sur les autres. Leur antagonisme fera qu’à un moment ou un autre la cohabitation deviendra impossible. Faut-il attendre qu’une étincelle allume un brasier social que l’on ne saura pas éteindre ? Les riches ne pourront pas continuer à vivre dans des zones de plus en plus protégés, il leur faudra bien partager volontairement ou sous la contrainte d’une population en armes. Dans chaque révolution il y a des gagnants et des perdants, seulement les perdants sont toujours plus nombreux. Et, personne ne peut affirmer que de gagnant il ne deviendra pas perdant dans les mois suivants.